Reconnaissance et connaissance

La connaissance scientifique avance méthodiquement. Pas à pas, elle s’attache à établir le vrai et à dénoncer le confus, le faux, l’erroné. Elle avance en accumulant les vérités aussi longtemps que son paradigme n’est pas remis en question par un trop grand nombre d’expériences. Alors elle change de paradigme, mais cherche à réintégrer les vérités accumulées précédemment dans le nouveau paradigme. Dans le cadre d’un même paradigme, la science laisse définitivement derrière elle ce qu’elle déclare faux.

La reconnaissance n’a pas la possibilité de laisser définitivement quoi que ce soit derrière elle. Ainsi la visée de départ recomprise autrement suite à la reconnaissance de son échec puis suite à la reconnaissance d’un vrai fondement n’est jamais définitivement modifiée. Je risque constamment d’oublier l’échec et d’en revenir à ma mauvaise visée de départ.

Prenons l’exemple des droits de l’homme (ddh) (Droits de l’homme). Après la deuxième guerre mondiale on les reconnaît, après s’être convaincu que les « malheurs publiques et la corruption des gouvernements » était due à leur oubli. On découvre que les régimes communistes ne respectent décidément pas les ddh. On fait de ces droits le fer de lance de la propagande antisoviétique. On oublie toutefois d’appliquer certains de ces droits à la société même qui les brandit. En instrumentalisant les droits de l’homme, on cache sous le boisseau l’échec qui les a fait reconnaître. On justifie  nombre de malheurs publics ainsi que la corruption des gouvernements. On n’a jamais fini en matière de droits de l’homme d’en revenir à l’échec. Cet échec n’est jamais définitivement dépassable.

Autre exemple toujours à propos des ddh: on sait que leur fondement se trouve dans la philosophie marquée par le presbytérianisme de Locke (La démocratie libérale, reconnaitre la loi, Locke). Historiquement parlant, sans le christianisme et plus encore sans le protestantisme, pas de ddh. Or, parmi eux, il y a le droit à la liberté de conscience. Au nom de cette liberté, on fait de la religion une affaire privée. On n’a quasiment plus le droit d’en débattre en public. Ce faisant, les ddh n’ont plus leur fondement dans la promesse de Dieu selon laquelle tout être humain à une infinie valeur à Ses yeux. La doctrine des ddh a scié la branche sur laquelle elle était assise. Sans fondement transcendant les ddh perdent de plus en plus de leur importance, car de leur absolu. Il faudra bientôt à nouveau les reconnaître en leur reconnaissant un fondement...

On peut appliquer ces réflexions sur la nécessité de toujours reprendre le mouvement de la reconnaissance à la foi chrétienne. Ainsi dans la compréhension chrétienne de soi, on est appelé à reconnaitre son péché pour en être libéré. Une fois conscient du pardon de son péché, on a tendance à se dire que l’on va pouvoir enfin vivre dans la liberté. De fil en aiguille on se sent même libre par rapport à la volonté de Dieu, ce qui est l’une des définition du péché. Il faut alors reconnaître cette liberté comme péché et découvrir, jusqu’à la prochaine émancipation abusive, que nous ne serons jamais que des pécheurs pardonnés.

Cette nécessité de toujours reprendre le mouvement de la reconnaissance est liée au fait que, dans le « reconnaître », l’engagement du sujet qui reconnait ne peut jamais être mis entre parenthèses (aller au fichier reconnaissance et  implication existentielle si vous n’y êtes pas encore passé (Reconnaissance et engagement  ) ou retour à la table des matières « Reconnaissance ».

Jean-Denis Kraege